
Sur la route du retour vers l'Argentine se branche, 40 km après San Pedro de Atacama et 2000 m plus haut, un accès au sud de la Bolivie, à la région du sud Lipez, très visitée par les tours en jeep depuis Uyuni et Tupiza en Bolivie, ou San Pedro de Atacama. L'occasion, pour moi, d'y aller en vélo au prix d'un petit détour. Mais les administrations sont plus tordues que les routes : les formalités douanières chiliennes se font à San Pedro, autant pour rentrer au Chili depuis la Bolivie, que pour en sortir par le paso de Jama. Résultat : il me faudra redescendre (pas de problème !) puis remonter (problème !) les 40 km et 2000 m de dénivellée pour avoir les cachets chiliens sur mon passeport !
Je me pointe au poste de douane de San Pedro après le déjeuner pour tamponner mon passeport en vue de la sortie vers la Bolivie et pour chercher un pick-up pour me monter les 40 km / 2000 m : j'aurai bien l'occasion de les parcourir au vélo après ma redescente à San Pedro ; de plus, on est censé sortir du pays le jour même du coup de tampon, ce qui est quasi impossible en vélo. Las, aucune circulation vers le paso de Jama à cette heure, et des autostoppeurs qui attendent depuis un jour et demi : ça n'a pas l'air simple de se faire prendre en stop ici ! Je décide donc d'attaquer courageusement à vélo.
Un groupe de 6 cyclistes espagnols et un français arrivent à la douane depuis le paso de Sico : ils ont bouclé en 2 jours la fin du parcours que j'ai faite en 4, sans visiter la laguna Miscanti, Toconao et la quebrada de Jere, ni la laguna Chaxa sur le désert d'Atacama : à quoi ça sert de voyager comme cela ?!
La montée vers l'altiplano, visible depuis San Pedro, et que j'ai pu contempler à loisir depuis une semaine est une interminable ligne droite à peine ondulante sur un glacis peu pentu (sauf quand on le monte à vélo avec carrito et bagages). Un effort régulier et répétitif auquel je consacre 5 heures lors de cet après-midi. Arrêt avant le coucher du soleil sur le bord de la route au kilomètre 30. Ayant réussi à bricoler mon réchaud à San Pedro en remplaçant le piston de la pompe par un joint de plomberie mis à la dimension avec du papier de verre - ce n'est pas parfait mais ça permet un fonctionnement -, c'est avec confiance que j'envisage la cuisson de ma soupe. Mais mon joint reste coincé au fond, traversant l'écrou qui doit le bloquer... Désespoir. Un rayon de vélo de rechange pour aller le repêcher, de l'huile pour lubrifier le joint, et ça repart : ouf ! Repas chaud et nuit agitée par le vent qui forcit.
Au matin, grosse circulation après l'ouverture du poste de douane en bas. Et fort vent de face qui a fait place au gentil vent de dos de la veille. Je temporise mais il faut se décider à y aller. 2h30 de bataille et voici enfin l'embranchement vers la Bolivie. Une piste lisse comme une patinoire jusqu'au poste de douane bolivien. Mais cela change après : des rails de graviers de belle taille... Heureusement, le refuge de la laguna verde (lac vert)n'est pas loin. Mais le doute s'installe : pourrai-je vraiment aller plus loin à vélo ?
Visite à vélo à la laguna, située à une dizaine de kilomètres, dans l'après-midi : une couleur impressionnante (hélas, les photos rendent mal cette couleur magique)! Passage par un petit bassin d'eau chaude thermale. Personne dans les parages : tranquille ! Retour par la piste qui mène à la suite de mon projet : la laguna colorada. Définitivement, non : cette piste n'est pas pour moi en vélo !
Une jeune cycliste allemande fait aussi étape au refuge. Enfin, elle voulait dormir dehors (dans un sac de bivouac car elle voyage sans tente !) mais se laisse tenter par le luxe. Elle est montée depuis San Pedro de Atacama avec 20 litres d'eau, quand je n'en portais "que" 7 (et 7 litres, c'est tout de même 7 kg !), et de la nourriture pour 7 jours quand j'en avais à peine plus que pour un ! Maso, non ? (sachant qu'on trouve un peu de ravitaillement, forcément de l'eau, et quelques petits "restos" dans ce coin de Bolivie) Mais chapeau !
De bon matin, je m'échappe en vélo vers le volcan Licancabur (5900 m : tout le monde ne dépasse pas 6000 m ! ) qui domine fièrement San Pedro de Atacama, mais qui se grimpe par le côté opposé, depuis la laguna verde. On est censé le faire avec un guide, ce que ne m'a pas formellement dit le bureau du parc national, alors que c'est un sentier de randonnée très accessible. Encore une sorte d'arnaque à touristes qui doivent débourser 60 US$ pour un transport de 2 x 15 km en jeep et 40 $ pour le guide. Rien de tout cela pour moi, mais 1h30' d'approche en vélo, et 45' d'errance pour avoir mal compris où était le sentier de montée. J'ai à peine attaqué que descendent 2 Québécois avec leur guide agressif à mon endroit. Ils ont attaqué à 3h30 du matin ! Quant à moi, je suis bien content de monter de jour car la laguna verde est sublime. Je ne peux m'arrêter de l'admirer au long de cette montée en belvédère. Un petit lac d'un vert profond au fond du petit cratère sommital, dont je fais le tour pour apercevoir San Pedro de Atacama et toute la montée initiale du paso de Jama que j'ai domptée la veille et l'avant-veille. Reflets brillants en direction du plateau des téléscopes du projet Alma.
Le soir, le groupe de cyclistes espagnol est arrivé au refuge, monté en un jour ! Après un seul jour passé à San Pedro de Atacama, quand j'y suis resté une semaine !
Il y a aussi 3 Ukrainiens qui font de la photo en vue d'une expo dans leur pays. Ils ont chartérisé une jeep, avec chauffeur, cuisinière et traductrice. Le lendemain matin, ils acceptent de m'emmener à la laguna colorada. Cela plait bien aussi à leur chauffeur qui me reconnait : il m'avait vu à Coquesa, au bord du salar d'Uyuni, 2 mois plus tôt ! En 2 heures, et après un bon bain dans le bassin d'eau chaude du salar de Chalviri, me voici posé au bord de la laguna colorada, seul alors que les Ukrainiens poursuivent leur route. Je me dis que c'est un privilège de pouvoir prendre le temps de goûter cette nature où les tours passent si vite. Et je pense, comme il m'arrive souvent, à ceux qui travaillent en France, font des rapports, des réunions... alors que j'observe les flamands roses à la jumelle. La laguna colorada n'a pas la couleur rouge annoncée mais cela devrait venir dans l'après-midi. J'ai quelques heures pour parcourir 5 km vers un point de vue et pique-niquer. J'y arrive tranquillement en même temps qu'une jeep : c'est le groupe de cyclistes espagnols. Les nuages ont envahi le ciel et la laguna colorada, que les Boliviens présentent pour l'élection à la liste des 7 nouvelles merveilles naturelles du monde (http://www.new7wonders.com/), n'est toujours pas rouge. Le vent se lève et je demande aux Espagnols de me déposer au refuge de la laguna colorada où je veux passer la nuit ; je joue gros : je ne sais pas comment je rentrerai à la laguna verde et je pourrais y aller avec eux en un rien de temps, mais j'ai décidé de prendre mon temps. Ils filent ; ils m'ont dépassé dans leur périple !
Le refuge est, en fait, une multitude de refuges qui se présentent comme des casernements militaires : pas bucolique. Les 4x4 arrivent les uns après les autres, peuplant ces casernements. Je cherche qui pourrait me ramener à la laguna verde le lendemain, mais tout le monde affiche complet, ou va dans la direction opposée. Au bout d'un moment, je ne sais plus à qui j'ai déjà demandé... Je comprends que la seule solution sera d'être sur le pied de guerre au moment du départ le lendemain, entre 4 et 5 h du matin, pour sauter sur une occasion.
Le ciel s'est dégagé en fin d'après-midi et je voudrais retourner voir si la laguna a pris les couleurs vantées sur les dépliants touristiques. Mais aucun 4x4 ne retourne vers le point de vue situé à 7 km. Les groupes prennent leur goûter. Je décide d'y aller tout de même, à pied, en petites foulées car je n'ai que 2 heures avant le dîner. Pubalgie assurée pour le lendemain, mais la laguna colorada... Effort peu récompensé : la laguna colorada n'est toujours pas - ou plus, car il commence à être tard - rouge. Inattendu : pas du pubalgie le lendemain : serais-je guéri ?!
Je suis à l'heure au dîner, que j'ai eu du mal à trouver : la plupart des groupes viennent avec leur cuisinière et les refuges ne font pas restaurant. Une exception, toutefois, me permet de trouver une cuisinière. Pas question, cependant, de me mélanger avec un groupe, même si je mange la même chose : je devrai manger à la cuisine ! Le voyageur indépendant est ici une sorte de paria ! Manger la même chose ? Pas tout à fait : la portion de pasta était énorme et délicieuse mais je me fais tout de même chauffer une de mes soupes. Et quand les plats des groupes reviennent, je m'offre une deuxième ration : le 4x4, ça creuse moins que le vélo et la marche ! Un demi Euro pour cela, ça reste dans mon budget !
Par contre, on a failli me faire payer les 3 lits de la chambre car les groupes réservent des chambres entières. Et il n'était pas question de me faire partager une chambre avec un groupe ! Mais un seul bon lit me suffit d'autant que la nuit est courte : j'ai mis le réveil à 3h30 pour traquer les 4x4 sur le départ dès 4h. Recherche dans la nuit des lumières qui s'allument, des 4x4 qu'on charge, des moteurs qui chauffent. Quelques pistes, des Français qui m'aident. Quand le groupe est d'accord, il faut demander au chauffeur ; quand le chauffeur est d'accord, il faut demander au groupe. Finalement, je suis adopté et saute sur une banquette arrière : sauvé de la laguna colorada !
Le passage au geyser Sol de manana est un peu insipide : un puissant jet de vapeur à un endroit et une grosse marmite bouillonnante à un autre. Il y a bien là une attraction mais, dans la nuit, soit disant pour mieux voir la vapeur, on ne voit pas grand chose. Et tous ces 4x4 qui débarquent leur flot de photographes amateurs... La piscine thermale goûtée la veille est toujours aussi bonne, bien que désormais surpeuplée. Petit-déjeuner au soleil à l'arrière des 4x4. L'arrêt à la laguna verde est insuportable : à cette heure-là, elle n'a pas encore sa couleur verte et je souffre pour ces touristes qui ont fait tout ce chemin pour arriver là et ne voient rien de ses merveilles ! Pas plus d'un quart d'heure plus tard, on rembarque en direction de mon refuge où je retrouve vélo, carrito et bagages. J'ai fait la laguna colorada... en "tour" !
A midi, je repasse le poste de douane bolivien où les douaniers acceptent de me garder carrito et bagages : je ne descendrai qu'avec le minimum de bagages à San Pedro pour me faciliter la recherche d'un véhicule pour remonter, ou pour remonter à vélo plus léger, si nécessaire. 40 km de pure descente (2000 m de descente !) sans toucher aux freins. La plongée dans le désert d'Atacama avec la température qui monte. Un bon petit restau à l'arrivée en ville. C'est bon !
Récupération des provisions laissées à mon camping en bas, mais installation dans un petit hôtel car j'ai laissé le matériel de camping à la douane, en haut. Nouvelles courses en prévision de la traversée du paso de Jama. Puis, le lendemain, trekking dans la vallée de la lune : canyons, dunes... Toujours extraordinaire ! Bon restau pour finir !
Un intermède de vacances avant le gros morceau du retour en Argentine par le paso de Jama !
photos sur : http://picasaweb.google.com/Benicano/BolivieSudLipezBenoit#
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