2 heures de piste et nous voilà à la porte du désert blanc. Dernier ravitaillement, de l’eau notamment. Et des vivres pour 2 jours. Et en avant ! Devant nous, 150 km de blanc posés à 3650 m d’altitude. Des motards français nous mettent dans l’axe. Ils sont 60 à faire un raid de quelques semaines sur leurs BMW absolument identiques. Beaucoup de saluts motards pendant ces premiers kilomètres. Visite d’un hôtel de sel. Une Japonaise semble y être la seule cliente pour la nuit. Elle tremble à l’idée de notre nuit dehors et nous donne 2 chaufferettes à chacun ! Puis, la ligne droite. Le vent tombe ; nous décidons de rouler jusqu’au coucher du soleil. Ca file tout seul. Nous nous décalons de 100 m de l’axe de circulation pour poser (planter est quasi impossible dans ce sel dur) notre camp. Sommes-nous sur l’Antarctique ? Rêves de pingouins (il fait bon dans les duvets… sans les chaufferettes !).
L’île Inkahuasi est vite atteinte au matin sur ce paradis cycliste. Magnifique contraste de la roche volcanique et corallienne (vestige d’une mer ancienne), et des cactus avec le blanc environnant. Nous retrouvons là 3 Savoyards en vélo, qui voyagent cool en ficelant leurs sacs de voyage sur leurs porte-bagages (et ils n’ont même pas de site web !). Je suggère que nous prolongions le charme en ne filant pas directement vers le volcan Thunupa qui nous domine depuis l’entrée sur le salar, où la vue est impeccablement claire et les distances, par conséquent, faussées, mais que nous allions naviguer entre quelques îles. Ca file, puis crevaison de ma remorque. Sans doute la réparation suite à l’accident qui n’a pas tenu. On repart. 500 m plus loin, crevaison de ma roue avant ! Une épine : comment est-ce possible sur le salar ?! Le sprint prend une allure de course d’obstacles. L’île Pescado, la plus grande du salar, s’avère désertique. Le soleil devient lourd. Quelques pâtes constituent notre maigre repas. Le vent d’ouest qui devrait nous pousser a changé de sens pour nous contrarier. La trace pour revenir à la « côte » s’avère rugueuse et moins roulante. Elle ne mène pas directement à notre destination mais à 10 km de là. Nous la quittons donc sur la fin pour obliquer vers un village. Nous n’avons pas compris que les sorties du salar vers les villages sont marquées par des sortes de portes. Nous filons droit à la terre. Le sol de salar se fait cahotique. Le pré qui nous recueille est aussi cahotique. Nous sommes pris dans des parcs à bêtes entourés de murs de pierre. Remonter à la piste est laborieux, surtout avec ma remorque trop large pour cet exercice. Laurent finit par m’aider en la portant. La piste est du genre agricole, très caillouteuse. Mon organisme crie famine. Le rêve du salar s’est éteint ! Le village de Caquesa est quasi-désert. Avec ses maisons et ses murets de pierre, il y règne un air de Bretagne, ou de massif central. En tous cas, pas de nourriture à l’horizon. Si ce n’est à patienter 2 heures au refuge qui nous ouvre ses portes. Nous cuisinons une ration de survie de soupe au mais en attendant.
Le refuge voit passer tous les « tours » de passage (bonjour, terre d’aventure !), notamment ceux qui veulent approcher le volcan Thunupa, présenté comme un 5400 m facile à gravir, avec une route supposée monter à 4500 m. En réalité, elle s’arrête à 4000 m, soit 350 m au-dessus du salar. Et le sommet est inaccessible en randonnée. Sans compter que les pentes sont faites d’un gravier qui file de plus en plus sous les pieds à mesure que l’on monte. Laurent l’attaque dès le lendemain alors que je m’octroie une journée de repos. J’irai le jour suivant, pendant que Laurent fait le tour du volcan à vélo, se faisant inviter dans une petite fête de producteurs de quinoa. Une petite séance d’acclimatation en prévision de notre programme futur, qui nous mène à 5150 m : record battu pour moi !
Je l’ai dit à Laurent : la route directe de traversée vers le salar de Coipasa dont on ne sait rien, et la suite à travers les parcs chiliens, je ne le sens pas maintenant. J’ai envie de lever le pied et de me la couler douce. Je préfèrerais faire les parcs chiliens après l’escalade du Parinacota. Nous renonçons à l’enchaînement Parinacota – Aconcagua que nous envisagions. Les 300 $ US d’entrée dans le parc de l’Aconcagua, plus les contraintes pour relier les 2 objectifs nous font pencher pour un changement de programme. Nous allons essayer d’enchaîner le Parinacota, classique 6000 de randonnée, et le Sajama, plus alpin, et plus haut sommet de Bolivie. Les 2 volcans sont voisins et se font depuis le même village de Sajama. Nous redescendrons ensuite par les parcs chiliens. Pour rejoindre Sajama, chacun choisit son itinéraire : Laurent invente une route directe côté bolivien dont on ne sait à peu près rien et qui promet d’être virile ; je vise de rejoindre le plus proche village d’où part un bus pour Oruro, d’où je pourrai rejoindre Sajama également en bus. Séparation pour 5-6 jours au départ du matin.
Plutôt que de souffrir sur la piste « agricole » du tour du volcan, j’opte pour le contournement, plus long mais espéré plus roulant, par le salar. Les 10 premiers kilomètres ne déçoivent pas. Puis le sel devient mouillé. Il vole de partout sur la remorque, dans mon dos, mes jambes. L’avancée est spongieuse. Parfois, le sel redevient dur mais forme des cristallisations qui résistent à l’avancement. J’aperçois des « saulniers », auprès desquels je vais me renseigner. Ils semblent m’encourager à filer droit vers mon objectif, Salinas de Garci Mendoza, mon arrêt de bus que j’espérais atteindre en 2 heures ! Je crois comprendre que le salar sera roulant comme de l’asphalte. En réalité, il roule mal. Puis forme des espèces de plaques qui s’enfoncent sous les pneus. Limite roulable. J’oblique vers la rive et sa piste agricole. Une languette plus roulante et me voilà reparti au large. De nouveau ces plaques et je reviens en direction de la rive, qui s’est éloignée entre temps. Une trace de voiture bien roulante, et me voilà reparti au large. Je tire des bords. Je reprends des forces sur une île. Le sel devient sable. Je suis obligé de pousser. Pour la première fois, et sur du plat ! La rive est très loin : une bonne galère s’annonce. Je dégonfle les pneus pour augmenter la portance. Un endroit plus dur et je remonte sur le vélo. 500 m et mon pneu avant est à plat. J’ai sans doute pincé la chambre à air. Un coup de pompe, malgré tout, pour essayer. Et il reste gonflé. Va-t-en comprendre… Poussage, recherche de sables plus durs. Je comprends que le salar a définitivement disparu. Le sol ressemble à celui d’un oued asséché, tout craquelé, mais mou. Peu à peu, la piste approche et je suis presque heureux de constater que sa tôle ondulée est aussi déplaisante que je l’imaginais, justifiant mon option malheureuse par le salar.
Salinas de Garci Mendoza est enfin là. C’est la capitale de la quinoa, qui connait un boom actuellement, notamment avec les exportations vers la France. Ca ne se voit pas tellement dans les rues de cette petite ville un peu déserte. Mais la saison de la quinoa ne dure que 3 mois… Je choisis un hôtel un peu moderne surplombant la ville et… disposant d’un bon tuyau d’arrosage. Vélo et remorque subissent un dessalage en régle : ils n’auront jamais été aussi propres.
Le lendemain, démarrage de mon programme paresse : bus pour Oruro. La piste est diabolique. Le bus avance à la vitesse d’un vélo, passant son temps dans des contournements de travaux de cette route en train d’être (re) faite. 5 heures pour les 150 premiers km d’un paysage plat et pelé. Arrivée sur le bitume (le premier depuis l’entrée en Bolivie !) : le bus continue à trembler comme un marin qui ne cesse de tanguer sur la terme ferme ! A l’arrivée, la poussière a envahi les soutes du bus : vélo et remorques n’auront jamais été aussi sales ! Mais me voici dans une ville animée, avec ses restos à 1 € le repas (soupe toujours riche et toujours différente, plat de viande, féculent et salade), ses salons de thé, quelques bars animés, le grouillement perpétuel de ses rues… J’ai toujours mille choses à faire (je fais ressouder mon porte-bagages en alu disloqué dans l’accident mais que je ne pouvais me décider à jeter – il ne sert que de secours au cas où ma remorque me lâcherait loin de toute civilisation, de toutes façons -, je fais recoudre mes baskets que je pensais jeter au bout de 2 semaines et qui iront jusqu’à Buenos Aires si ça continue, réparer mes sacs à dos, recoudre des vêtements… et Internet !). Quelques bandes défilent dans les rues en préparation du carnaval, classé patrimoine oral et intangible de l’humanité par l’UNESCO (notre retour mi-février devrait nous permettre d’attraper quelque part une bribe de carnaval). C’est agréable Oruro, ville qui fut une des plus riches d’Amérique latine (avec Potosi) pour ses ressources en minéraux, où se respire plus l’air d’une petite capitale que d’un centre minier (malgré une certaine reprise d’activité récente due à la hausse des cours des métaux). Simon Patino, le baron de l’étain, un des hommes les plus riches de la planète au milieu du 20ème siècle, propriétaires de plusieurs dizaines de mines, y avait son hôtel particulier, devenu université et musée. Abondance de mobilier et même billard, cuisinière à bois, venus de France et d’Allemagne où il avait étendu ses affaires. Moi, je repère une petite maison en vente sur les collines contre lesquelles est appuyée la ville, où je pourrais bien m’installer un temps ! Mais Laurent doit être en train d’arriver à Sajama. Il est temps que je le rejoigne pour une page alpinisme de notre programme.
Photos sur : http://picasaweb.google.com/Benicano/SalarDUyuni#
et http://picasaweb.google.com/Benicano/OruroBenoit#