vendredi 28 novembre 2008

Salar d'Uyuni et Oruro


2 heures de piste et nous voilà à la porte du désert blanc. Dernier ravitaillement, de l’eau notamment. Et des vivres pour 2 jours. Et en avant ! Devant nous, 150 km de blanc posés à 3650 m d’altitude. Des motards français nous mettent dans l’axe. Ils sont 60 à faire un raid de quelques semaines sur leurs BMW absolument identiques. Beaucoup de saluts motards pendant ces premiers kilomètres. Visite d’un hôtel de sel. Une Japonaise semble y être la seule cliente pour la nuit. Elle tremble à l’idée de notre nuit dehors et nous donne 2 chaufferettes à chacun ! Puis, la ligne droite. Le vent tombe ; nous décidons de rouler jusqu’au coucher du soleil. Ca file tout seul. Nous nous décalons de 100 m de l’axe de circulation pour poser (planter est quasi impossible dans ce sel dur) notre camp. Sommes-nous sur l’Antarctique ? Rêves de pingouins (il fait bon dans les duvets… sans les chaufferettes !).

L’île Inkahuasi est vite atteinte au matin sur ce paradis cycliste. Magnifique contraste de la roche volcanique et corallienne (vestige d’une mer ancienne), et des cactus avec le blanc environnant. Nous retrouvons là 3 Savoyards en vélo, qui voyagent cool en ficelant leurs sacs de voyage sur leurs porte-bagages (et ils n’ont même pas de site web !). Je suggère que nous prolongions le charme en ne filant pas directement vers le volcan Thunupa qui nous domine depuis l’entrée sur le salar, où la vue est impeccablement claire et les distances, par conséquent, faussées, mais que nous allions naviguer entre quelques îles. Ca file, puis crevaison de ma remorque. Sans doute la réparation suite à l’accident qui n’a pas tenu. On repart. 500 m plus loin, crevaison de ma roue avant ! Une épine : comment est-ce possible sur le salar ?! Le sprint prend une allure de course d’obstacles. L’île Pescado, la plus grande du salar, s’avère désertique. Le soleil devient lourd. Quelques pâtes constituent notre maigre repas. Le vent d’ouest qui devrait nous pousser a changé de sens pour nous contrarier. La trace pour revenir à la « côte » s’avère rugueuse et moins roulante. Elle ne mène pas directement à notre destination mais à 10 km de là. Nous la quittons donc sur la fin pour obliquer vers un village. Nous n’avons pas compris que les sorties du salar vers les villages sont marquées par des sortes de portes. Nous filons droit à la terre. Le sol de salar se fait cahotique. Le pré qui nous recueille est aussi cahotique. Nous sommes pris dans des parcs à bêtes entourés de murs de pierre. Remonter à la piste est laborieux, surtout avec ma remorque trop large pour cet exercice. Laurent finit par m’aider en la portant. La piste est du genre agricole, très caillouteuse. Mon organisme crie famine. Le rêve du salar s’est éteint ! Le village de Caquesa est quasi-désert. Avec ses maisons et ses murets de pierre, il y règne un air de Bretagne, ou de massif central. En tous cas, pas de nourriture à l’horizon. Si ce n’est à patienter 2 heures au refuge qui nous ouvre ses portes. Nous cuisinons une ration de survie de soupe au mais en attendant.

Le refuge voit passer tous les « tours » de passage (bonjour, terre d’aventure !), notamment ceux qui veulent approcher le volcan Thunupa, présenté comme un 5400 m facile à gravir, avec une route supposée monter à 4500 m. En réalité, elle s’arrête à 4000 m, soit 350 m au-dessus du salar. Et le sommet est inaccessible en randonnée. Sans compter que les pentes sont faites d’un gravier qui file de plus en plus sous les pieds à mesure que l’on monte. Laurent l’attaque dès le lendemain alors que je m’octroie une journée de repos. J’irai le jour suivant, pendant que Laurent fait le tour du volcan à vélo, se faisant inviter dans une petite fête de producteurs de quinoa. Une petite séance d’acclimatation en prévision de notre programme futur, qui nous mène à 5150 m : record battu pour moi !

Je l’ai dit à Laurent : la route directe de traversée vers le salar de Coipasa dont on ne sait rien, et la suite à travers les parcs chiliens, je ne le sens pas maintenant. J’ai envie de lever le pied et de me la couler douce. Je préfèrerais faire les parcs chiliens après l’escalade du Parinacota. Nous renonçons à l’enchaînement Parinacota – Aconcagua que nous envisagions. Les 300 $ US d’entrée dans le parc de l’Aconcagua, plus les contraintes pour relier les 2 objectifs nous font pencher pour un changement de programme. Nous allons essayer d’enchaîner le Parinacota, classique 6000 de randonnée, et le Sajama, plus alpin, et plus haut sommet de Bolivie. Les 2 volcans sont voisins et se font depuis le même village de Sajama. Nous redescendrons ensuite par les parcs chiliens. Pour rejoindre Sajama, chacun choisit son itinéraire : Laurent invente une route directe côté bolivien dont on ne sait à peu près rien et qui promet d’être virile ; je vise de rejoindre le plus proche village d’où part un bus pour Oruro, d’où je pourrai rejoindre Sajama également en bus. Séparation pour 5-6 jours au départ du matin.

Plutôt que de souffrir sur la piste « agricole » du tour du volcan, j’opte pour le contournement, plus long mais espéré plus roulant, par le salar. Les 10 premiers kilomètres ne déçoivent pas. Puis le sel devient mouillé. Il vole de partout sur la remorque, dans mon dos, mes jambes. L’avancée est spongieuse. Parfois, le sel redevient dur mais forme des cristallisations qui résistent à l’avancement. J’aperçois des « saulniers », auprès desquels je vais me renseigner. Ils semblent m’encourager à filer droit vers mon objectif, Salinas de Garci Mendoza, mon arrêt de bus que j’espérais atteindre en 2 heures ! Je crois comprendre que le salar sera roulant comme de l’asphalte. En réalité, il roule mal. Puis forme des espèces de plaques qui s’enfoncent sous les pneus. Limite roulable. J’oblique vers la rive et sa piste agricole. Une languette plus roulante et me voilà reparti au large. De nouveau ces plaques et je reviens en direction de la rive, qui s’est éloignée entre temps. Une trace de voiture bien roulante, et me voilà reparti au large. Je tire des bords. Je reprends des forces sur une île. Le sel devient sable. Je suis obligé de pousser. Pour la première fois, et sur du plat ! La rive est très loin : une bonne galère s’annonce. Je dégonfle les pneus pour augmenter la portance. Un endroit plus dur et je remonte sur le vélo. 500 m et mon pneu avant est à plat. J’ai sans doute pincé la chambre à air. Un coup de pompe, malgré tout, pour essayer. Et il reste gonflé. Va-t-en comprendre… Poussage, recherche de sables plus durs. Je comprends que le salar a définitivement disparu. Le sol ressemble à celui d’un oued asséché, tout craquelé, mais mou. Peu à peu, la piste approche et je suis presque heureux de constater que sa tôle ondulée est aussi déplaisante que je l’imaginais, justifiant mon option malheureuse par le salar.
Salinas de Garci Mendoza est enfin là. C’est la capitale de la quinoa, qui connait un boom actuellement, notamment avec les exportations vers la France. Ca ne se voit pas tellement dans les rues de cette petite ville un peu déserte. Mais la saison de la quinoa ne dure que 3 mois… Je choisis un hôtel un peu moderne surplombant la ville et… disposant d’un bon tuyau d’arrosage. Vélo et remorque subissent un dessalage en régle : ils n’auront jamais été aussi propres.

Le lendemain, démarrage de mon programme paresse : bus pour Oruro. La piste est diabolique. Le bus avance à la vitesse d’un vélo, passant son temps dans des contournements de travaux de cette route en train d’être (re) faite. 5 heures pour les 150 premiers km d’un paysage plat et pelé. Arrivée sur le bitume (le premier depuis l’entrée en Bolivie !) : le bus continue à trembler comme un marin qui ne cesse de tanguer sur la terme ferme ! A l’arrivée, la poussière a envahi les soutes du bus : vélo et remorques n’auront jamais été aussi sales ! Mais me voici dans une ville animée, avec ses restos à 1 € le repas (soupe toujours riche et toujours différente, plat de viande, féculent et salade), ses salons de thé, quelques bars animés, le grouillement perpétuel de ses rues… J’ai toujours mille choses à faire (je fais ressouder mon porte-bagages en alu disloqué dans l’accident mais que je ne pouvais me décider à jeter – il ne sert que de secours au cas où ma remorque me lâcherait loin de toute civilisation, de toutes façons -, je fais recoudre mes baskets que je pensais jeter au bout de 2 semaines et qui iront jusqu’à Buenos Aires si ça continue, réparer mes sacs à dos, recoudre des vêtements… et Internet !). Quelques bandes défilent dans les rues en préparation du carnaval, classé patrimoine oral et intangible de l’humanité par l’UNESCO (notre retour mi-février devrait nous permettre d’attraper quelque part une bribe de carnaval). C’est agréable Oruro, ville qui fut une des plus riches d’Amérique latine (avec Potosi) pour ses ressources en minéraux, où se respire plus l’air d’une petite capitale que d’un centre minier (malgré une certaine reprise d’activité récente due à la hausse des cours des métaux). Simon Patino, le baron de l’étain, un des hommes les plus riches de la planète au milieu du 20ème siècle, propriétaires de plusieurs dizaines de mines, y avait son hôtel particulier, devenu université et musée. Abondance de mobilier et même billard, cuisinière à bois, venus de France et d’Allemagne où il avait étendu ses affaires. Moi, je repère une petite maison en vente sur les collines contre lesquelles est appuyée la ville, où je pourrais bien m’installer un temps ! Mais Laurent doit être en train d’arriver à Sajama. Il est temps que je le rejoigne pour une page alpinisme de notre programme.

Photos sur : http://picasaweb.google.com/Benicano/SalarDUyuni#
et http://picasaweb.google.com/Benicano/OruroBenoit#

jeudi 27 novembre 2008

Bolivie ! Tupiza.


Voici la Bolivie tant redoutée ! Les douaniers sont relaxes. Les routiers nous saluent démonstrativement. La piste est bonne. Finalement, c’est cool, la Bolivie. Laurent voulait prendre un itinéraire bis, annoncé très sablonneux : une route qui circule dans un rio. Je réussis à l’en dissuader. Au moment où le soleil descend sur l’horizon, des cyclistes très locaux – l’un d’entre eux transporte un long fer à béton – nous disent que nous pourrons nous faire loger à l’école de leur village. La directrice nous ouvre la porte de la classe à une condition : que nous soyions partis à 5 heures (du matin !) pour qu’elle puisse fermer la porte alors qu’elle doit prendre un bus… Nous acceptons malgré tout (et à 5 heures, il fait jour). Ses enfants viennent nous rendre visite dans la classe. Echanges joyeux autour des panneaux affichés dans la classe, de notre réchaud à pétrole qui les intéresse, de nos appareils photos… Sympas et pas collants, ces enfants ! Dans l’autre salle de l’école, réunion de la communauté. Nous revoyons nos cyclistes locaux. Nous les amusons en amenant de notre salle de classe les chaises qui leur manquent…

Lever à l’aurore, mais la directrice a dû prendre confiance : elle ne nous met pas à la porte quand elle part à 5 h. Nous attaquons le matin par une belle descente où nous croisons la ligne de chemin de fer qui fait des épingles. Mais, catastrophe, un peu plus loin : mon deuxième axe de roue de remorque casse à son tour ! Je regrette amèrement l’axe de rechange que n’a pas pu me faire le tourneur de la Quiaca. J’attends à peine un quart d’heure sur cette route où passent très peu de véhicules pour qu’un pick up m’embarque. Un responsable de chantier routier qui va à Tupiza acheter de la dynamite. Il s’arrête en route pour faire des photos au niveau d’un étroit où la route passe en tunnel. Sympa. Aussitôt arrivé à Tupiza, je me mets en quête d’un tourneur . La routine, quoi ! Il invente un nouveau système d’axe, supprimant la gorge où se sont produites les 2 ruptures. Et il m’en fait 2. Me voilà donc avec deux axes neufs et un axe de rechange pour la suite. Je dirige aussi Laurent chez lui pour faire le contreventement de sa remorque qui donne les résultats escomptés. Nous voici mieux équipés que jamais.

Nous logeons dans un hôtel avec piscine et des glycines ( ?!!) devant nôtre fenêtre. Tupiza est dans un environnement magnifique de montagnes colorées. Nous faisons notamment une randonnée canyoning : remontée d’un canyon, passage d’un col, redescente dans un autre canyon. Pas besoin de corde mais plusieurs escalades/desescalades sur cet itinéraire très esthétique. Une soirée de chansons et danses sur le parvis de l’église en l’honneur de la Vierge locale (Virgen de remedios).

Encore de très beaux paysages, genre monument valley, en quittant Tupiza. Notre volonté de faire moins de photos (et d’en mettre moins sur Internet !) ploie… Des Français rencontrés à Tupiza qui ont importé d’Isère, un Mercedes Vito camping-carisé nous doublent (un.tour.a.deux.free.fr ). La poussière s’insinue dans leur véhicule et ils souffrent sur la tôle ondulée. Au moins savent-ils où ils vont dormir. Nous attaquons une montée. Une heure, deux heures, trois heures. Nous nous attendons à atteindre le point culminant et la descente qui nous redescendra vers un lieu civilisé pour la nuit. Mais cela monte toujours. Seul le soleil descend, et les jambes se font dures. Je me décide à arrêter une voiture pour demander une bouteille d’eau, pour notre cuisine du soir (Laurent ne craint pas de porter plus d’eau, mais si je veux avancer…). Et alors que les endroits plats et abrités du vent fort ne courent pas les rues, Laurent avise une ruine. Il fait un plancher avec les planches qui l’encombrent. Diner, montage de la tente dans ce réduit. Nuit à près de 4000 m.

Le lendemain, et pour la première fois depuis le début de ce périple, je sens mes jambes. Ca tombe mal. La route continue à monter ! Puis à monter et descendre et remonter encore et encore. Comme la veille, nous ferons bien plus de 1000 m de dénivellée. Ravitaillement dans le petit magasin d’une mine au milieu de nulle part. Encore une crevaison pour moi au pied d’une côte sévère (pourquoi toujours moi ? A cause des ses pneus tubeless, me dit Laurent) en haut de laquelle Laurent m’attend avec notre pitance préférée : une soupe à la semoule de mais, suivie d’une semoule de mais à la soupe (question de proportions). Enfin, nous voilà sur un plateau, légèrement descendant même, qui va nous transporter à Atocha, prochain refuge de civilisation (restaurants, douches…). A 10 km de là, je dépasse un bus arrêté. Un pick up m’arrive dessus et freine tard. Je le sens nerveux. Alors que je commence à me rabattre, il m’écrase !! Volontairement ou pas ? Il me passe sur la roue de la remorque et je me retrouve à terre. Je découvre après coup qu’il a démolli mon porte-bagages et déboité ma selle. Avec quelques égratignures au bras, je m’en sors à bon compte. Le fautif s’est mué en fuyard. Je monte avec mon chargement dans le bus arrêté, dont le chauffeur a tout vu. A Atocha, je l’enlève pour une déposition à la police. J’ai pu relever le numéro de plaque de l’agresseur. Sait-on jamais.. ?

Atocha n’est pas touristique. Les logements sont limite insalubres. On s’électrocute en prenant des douches (chauffage électrique à la pomme de douche, répandu en Bolivie). Une serveuse de restaurant dont nous n’arrivons pas à comprendre ce qu’elle peut nous offrir pour le dîner se réfugie derrière son comptoir en regardant la télé. Allons voir ailleurs ! Peu d’espoir de réparer ma roue à Atocha, et la perspective d’une piste difficile pour Uyuni : nous optons pour le bus. Places panoramiques au-dessus du chauffeur. Idéal pour admirer les (encore) très belles formations rocheuses, mais aussi le sable, les dunes, qui font leur apparition, et qui auraient certainement été une épreuve à traverser en bicyclette (même si certains le font). C’est bon, le bus ! Et nous voilà déjà à Uyuni, haut-lieu touristique.

Malheureusement, comme trop souvent aux étapes, mon menu n’est pas à la flânerie et la visite de musées mais entretien de mon matériel. Il y a beaucoup de charrettes à bras avec des roues du même diamètre que celles de ma remorque dans tous ces pays. Je m’attends à pouvoir facilement faire un échange standard. Malheureusement, il apparaît que le problème est plus compliqué. Après une tournée extensive de tous les vendeurs de roue, il est patent qu’aucune n’a de moyeu de la largeur du mien, et ne peut donc s’adapter sur mes axes de roues tout neufs. Reste la solution de refaire un axe de roue (je commence à connaître la musique), ou, comme le suggère Laurent, de démonter rayons et jantes d’une roue du commerce et de tout remonter sur le moyeu de ma roue détruite. Opération longue et désepérante pour un novice, qui me prend une après-midi. Mais, après un nouveau tour infructueux de tous les marchands de roue pour trouver un rayon de remplacement à un rayon dont j’ai foiré le pas de vis – je les ai tellement malmenés ! -, et en redressant finalement un rayon de ma roue détruite, la roue est enfin reconstruite. Je n’ai vu d’Uyuni que ses marchands d’articles de vélo et de bricolage, et ses restaurants aux prix « touristiques ». Et il faut déjà repartir ! Nous nous accordons cependant, avant le petit-déjeuner, un tour au cimetière de trains. Et puis, en route pour le salar !


photos sur : http://picasaweb.google.com/Benicano/BolivieTupiza#

jeudi 13 novembre 2008

Quebrada de Humahuaca


En route pour la Puna, les hauts plateaux, par la quebrada (vallée) de Humahuaca, patrimoine mondial de l'humanité « paysage et culture » de l'UNESCO.

Une étape de transition d'abord où nous changeons une nouvelle fois de province pour rejoindre Jujuy. Les rencontres de cyclistes au long cours ont toujours un caractère soudain. Là, c'est alors que nous filons dans la jolie végétation sub-tropicale de la descente d'un petit col entre Salta et Jujuy que surgit, dans un virage, une sorte d'Antoine qui serait descendu de son bâteau. Freinages. Robert est un Allemand de 63 ans qui a commencé les voyages à vélo à la retraite, il y a 8 ans. Nous l'interrogeons sur le drapeau qui orne sa remorque mono-roue - seule concession notoire à la modernité - et ressemble à celui du Tibet : République libre de Roberto, nous répond-il ! Il trimballe une voile qui s'installe sur sa remorque on ne sait bien comment. Il a un crochet débrayable pour se faire tirer par des voitures. Et tout dans son équipement est bricolage ! Un personnage.

A Jujuy, après nous être goinfrés de fraises, nous attaquons la lente remontée du rio Grande : 180 km et 2400 m de dénivellée. La route est bonne et le vent nous sera en général très favorable. La première étape nous voit déjà gagner 1000 m et nous avons 100 km au compteur à la tombée de la nuit. Les incroyables couleurs de Purmamarca, ce sera pour le petit matin. C'est un festival que les photos ne rendent que très imparfaitement. Nous flânons dans cette vallée parsemée de formations rocheuses étonnantes, et aussi de souvenirs historiques : poste de Hornillos, ancien relais de messagerie de l'époque espagnole ; pukara de Tilcara, ancien village fortifié d'époque pré-inca et inca, et musée archéologique.

A Humahuaca, nous rencontrons Julien, un Auvergnat musicien venu passer un an dans une association de quartier, et qui s’est finalement installé. Il joue le soir, et est serveur à midi, après différents autres boulots. Il m'entraine – Laurent dort ! - dans son groupe d'amis pour des soirées dont je me sauve à 4 h et 3 h du mat. Une fête dans le village voisin de Rodero : nous abandonnons le vélo pour 40' à l'arrière d'un pick-up. Culte de la Pacha mama, la terre mère, mêlé à la religion catholique dans toutes ces contrées. Haut en couleurs ! Nous avons négligé que nous sommes à 3000m d'altitude et que, si les journées sont chaudes, il ne faut pas avoir oublié sa petite laine pour le coucher du soleil. Retour précipité dans le même pick-up.

Jeu de piste le lendemain pour trouver des gravures rupestres (pas très anciennes : 950 à 1500 ap JC) après un déjeuner dans une communauté « aborigène » qui pratique le tourisme rural. Nous sommes heureux d’être à l’abri pendant la première et courte pluie depuis notre départ. Encore des paysages spectaculaires pour rejoindre Tres cruces, une ville fantôme dont la plupart des maisons sont abandonnées, et les rues désertées. Pas d'hôtel ouvert. La police ne nous offre pas le gîte mais bénit l'installation de notre tente sur la place centrale. Pas de restaurant ouvert. Laurent tremble pour la sécurité de nos biens et décide de cuire la purée à la tente. Je suggère de nous faire inviter par des voisins et c'est armés de nos provisions que nous sommes accueillis à une table chaleureuse. Beaucoup d'Argentins, comme cette famille, ne mangent pas le soir, se contentant d'un maté(ou café?)-tartines (le maté est une sorte de thé, véritable boisson culte nationale). Nous arrivons tout de même à leur faire goûter un peu de la soupe et de la purée que nous avons en excés, et laissons quelques biscuits. Un moment chaleureux dans cet endroit glauque.

3780 m : nous battons notre record d'altitude dès le départ du matin. Nous sommes maintenant installés pour plusieurs semaines au-dessus de 3000 m. A Abra Pampa, la frontière n'est plus qu'à 70 km de route asphaltée. Mais nous bifurquons vers la laguna de Pozuelos, un lac d'altitude peuplé de flamands roses et classé monument national : 130 km de piste donc ! Campement en bordure de la lagune, qu'il a fallu aller chercher par une trace indiquée par des voisins. Pas d'engorgement touristique là ! Laurent tente de surprendre les flamands roses alors que le soleil se lève dans notre dos. Puis ce sont les lamas dont les têtes curieuses dépassent des touffes de végétation qui surveillent notre avancée. Des vigognes traversent la piste à la vitesse de gazelles. Nous attaquons le dernier tronçon vers la ville frontière de la Quiaca lorsque, patatras, ma remorque laboure la piste : j'ose à peine me retourner car je sais que c'est grave. Un axe de roue s'est brisé. Nous avons à peine le temps de porter ma remorque handicapée sur le bas-côté qu'un pick up arrive. Vélo et remorque sur la plateforme arrière. Cycliste désemparé à l'intérieur. Est-ce la mort naturelle de ma remorque ? Elle n'était pas vraiment prévue pour cet effort. Laurent n'est pas loin d'avoir des mots durs pour ma pauvre remorque. Il n'y avait cependant pas de meilleur moment pour un petit tour en voiture. La piste est mauvaise ; elle ne cesse de monter et descendre ; et le paysage déplumé n'est pas excitant. Laurent avalera tout. Mais à l'arrivée, coup de Trafalgar, sa remorque qui, depuis le départ, présentait différentes bizarreries mécaniques et une tendance à l'affaissement qui ne manquait pas de l'inquiéter, révèle une soudure cassée. On nous indique un tourneur qui pourrait me fabriquer un axe de roue et c'est à 22 h qu'il nous reçoit avec nos 2 remorques. La livraison des engins remis en état est fixée le lendemain à la même heure. Il n'a pas eu le temps de me faire un axe de réserve : espérons que le deuxième tienne mieux que le premier. Ni de faire le contreventement que souhaitait Laurent pour sa remorque... Mais nos remorques sont opérationnelles !

Plus rien ne peut plus nous arrêter. Avec 1000 km au compteur (plus pour Laurent qui excursionne à vélo les jours de repos), nous tournons une première page. A nous deux la Bolivie ! Direction le salar d’Uyuni.

Photos sur : http://picasaweb.google.com/Benicano/QuebradaDeHumahuaca#

lundi 3 novembre 2008

les vallées Calchaquies


Embarquement dans le pick up de Rodrigo samedi matin. Des cadres, des roues, des remorques, des bagages de partout. Nous sautons ainsi 40 km de route sans intérêt pour nous pointer au pied de la première difficulté du parcours. Une montée de 1700m de dénivelée jusqu'à Tafi del Valle ! Solide, comme premier test ! Premier arrêt après 100 m de plat : ce n'est pas possible, j'ai l'impression d'être englué dans le sol ! On regonfle les roues de la remorque. Dès les premières pentes, tout à gauche, et je ne bougerai pas beaucoup du plus petit braquet. Horacio pousse la remorque. Je monte à vitesse de tortue : on n'est pas sortis de ces 40 premiers kilomètres ! Puis Horacio casse son dérailleur et redescend chercher le pick up. A mi-parcours j'y verse tous mes bagages mais mets un point d'honneur à traîner ma charrette jusqu'en haut. Laurent ne s'est délesté que d'un sac mais je n'arrive toujours pas à le suivre : ça promet ! Nous finissons dans la maisonnette de vacances de Monica qui a pédalé avec nous (tout comme Rodrigo). Nous sommes passés de la moiteur quasi tropicale de la vallée, avec sa végétation exubérante, à des alpages puis un paysage minéral. Deux copines de Monica, splendides, nous rejoignent. Je ne peux m'empêcher de demander à Horacio s'il est bien normal que toutes leurs copines, y compris cyclistes, donnent l'impression de sortir du concours de miss monde. Il me renvoie à la devise de Saragosse, je crois, qui, dans une version adaptée, deviendrait : ce que la nature ne donne pas, le silicone le prête. Toujours est-il que la soirée en si agréable compagnie, en musique et avec 3.5 kg de viande (pour 7) se termine à une heure incompatible avec un départ matinal.

1200 m de dénivellée pour cette seconde étape avec un passage de col à plus de 3000, et plus d'assistant... Il m'a fallu la veille prendre des décisions. J'ai désossé ma remorque, enlevant tous les montants verticaux, qui donnent forme à un habitable mais ne me sont pas strictement nécessaires, ainsi que les « pare-chocs » latéraux. Un arbitrage supplémentaire dans mes affaires (le délestage du rasoir devrait se voir sous peu sur les photos !) – Laurent abandonne aussi quelques affaires – et c'est un sac marin de près de 10 kg et un paquet de de barres de fer que nous confions à Horacio. L'effet est (heureusement !) immédiat et, avec Laurent, nous arrivons à faire l'essentiel de la montée ensemble. Tous les jours, le col se couvre dans l'après-midi et nous filons vite côté soleil. La route est cahotante et je tremble pour l'attache de ma remorque dont l'efficacité n'est pas encore avérée. 66 km/h au compteur : ça a l'air de tenir. Laurent me déclare : « finalement, ta remorque, elle pourra peut-être passer la Bolivie ». Emotion. Les cactus dispersés sur des pentes douces, une très légère brume... C'est un moment de bonheur vélocipédique comme sensoriel. Nous croisons 2 Suisses en vélo couché : ils viennent d'Alaska, partis depuis 16 mois (www.panamerica.ch) ! Nous ne sommes que des débutants amateurs ! 30 kg de bagages sur leurs vélos de 20 kgs, et ils ont traversé la Bolivie... Ce serait donc possible ?! Ils nous conseillent un arrêt à un hôtel tenu par un Allemand un peu plus bas. En fait, Julian est aussi, par sa mère, arrière-petit fils de Paul Claudel ! Embarqué par ses parents sur un voilier à l'âge de 10 ans, il a bouclé son premier tour du monde en 7 ans ! Puis il a continué à arpenter la planète en quête de sens pendant des années avant de ressentir des forces spéciales dans ce coin de terre où il s'est arrêté, a commencé à construire, dans un style personnel tout en rondeur et éclairage zénital, ce qui est devenu un hôtel, et s'est marié avec une fille du coin dont il a une petite fille... Un personnage, un philosophe (tendance soufisme)... Il nous fait la chambre au prix routard et nous partageons la table familiale au dîner (www.uno.travel).

La troisième étape s'annonce plus tranquille avec a fin de la descente et surtout du plat. Mais le vent contraire se lève en fin de journée et c'est un combat que mène Laurent (je ne peux pas relayer) pour rallier Cafayate. Nous avons visité, sous le soleil brûlant, les ruines de Quilmes, empreintes du souvenir des persécutions menées par les Espagnols à l'encontre des populations indigènes. Et négocié un plat de midi dans un petit centre de vente d'artisanat en bas des ruines. Nous terminons le combat contre le vent au camping à l'entrée de Cafayate, petite ville touristique à grande réputation vinicole. Première occasion d'utiliser le matériel de camping que nous tractons. Dîner en ville, en terrasse. A deux pas de là, nous rencontrons, au petit-déjeuner, deux Français, Annick et Bruno, qui font le même circuit dans le sens contraire . Ils ont donc traversé la Bolivie : ce serait donc possible ?! (www.roulmaloute.com)

Nous ne prenons pas le temps de visiter grand chose à Cafayate et filons vers le nord. 30 km faciles puis commence la piste : c'est parti pour plus de 150 km sans bitume ! Un petit vent dans le dos, un grand rio à longer mais un sol très gravillonneux, sans rendement. La moyenne plonge. Nous trouvons un abri du soleil pour une pause-sieste. Nous demandons de l'eau à la seule âme aperçue dans ce désert. Il nous parle de la tour Eiffel, de Pise, et de l'Argentine, fier de sa plus longue avenue du monde, et de la plus large, et de la plus longue route du monde, la RN 40 (genre 5000 km), celle-là même qui passe devant chez lui et que nous empruntons pour un moment. Dans la chapelle, Laurent continuera la conversation sur l'avenir de la planète, les bio-carburants... Incidemment, nous réalisons que nos montres ne sont pas à l'heure ! Contrairement à la province de Tucuman, la province de Salta, dans laquelle nous sommes entrés la veille, ne passe pas à l'heure d'été ! 2 heures ont ainsi cours un peu aléatoirement en Argentine ! Elle nous en fait voir sa RN 40, aussi roulante qu'un chemin agricole. D'ailleurs nous faisons un temps la course avec un tracteur. Ma remorque, avec ses 2 roues qui ne sont pas dans l'axe du vélo, constitue un attelage beaucoup moins performant en piste que celui de Laurent. Je dois en permanence rechercher un passage pour 3 axes au lieu d'un. Mais les paysages sont magnifiques. Nous traversons des formations rocheuses fantasmagoriques.

Je négocie un demi-étape avec Laurent pour le jour suivant : non, 85 km de bataille avec la piste, je ne sens pas que cela puisse constituer un plaisir jusqu'au bout. La piste se fait plus roulante, le vent dans le dos... Nous sommes arrivés pour le déjeuner. Des admirateurs qui nous ont doublés en voiture nous interviewent.

Pour la première fois nous parvenons à nous lever à l'aube pour l'étape de Cachi. Pour une fois, point de litres d'eau à engloutir pendant les 2 premières heures. Des tisserands jalonnent le bord de notre route. De magnifiques maisons traditionnelles de torchis. Peu avant Cachi, je convaincs Laurent de faire un détour pour rechercher des ruines pré-colombiennes. 4 km de montée sous le cagnard pour apprendre à l'hôtel (la Paya) situé au bout qu'elles sont en bas ! Au moins, mangeons là ! Mais le resto est fermé à midi ! Une orangeade et un plouf dans la piscine, alors ?! Et Virginia, la fille du patron nous fait finalement cuisiner une sorte de ravioles très fins. Puis visiter l'hôtel, la chapelle, le potager qui est l'autre versant de l'exploitation. L'hôtel est hors de nos standards habituels mais nous sommes sous le charme et décidons de rester bien qu'encore à 12 km de Cachi et avec la perspective de devoir faire 25 km A/R pour aller y visiter un musée : cher payé ! Heureusement, Diego, un gros éleveur de Corrientes (700 vaches), en tenue traditionnelle (file moi tes bottes !) arrive avec 3 femmes (Angeles, Celina qui parle français, et Gladis) qui doivent entreprendre une randonnée de 5 jours le lendemain. Outre une joyeuse compagnie, c'est une sortie au musée archéologique de Cachi de gagnée. Puis nous redescendons visiter les ruines pré-colombiennes, guidés par Virginia.

Le retour sur le goudron apporte le soulagement. Mais un col, 1200 m plus haut, nous fait face. Et le prochain hébergement est à près de 100 km, derrière l'obstacle. Le vent se lève avant la recta de Tin-Tin (11 km de ligne droite), sur le plateau de cactus. Terrible, nous sommes scotchés sur place. La route redevient piste. Un encaissement, un grand plateau. Nous allons chercher de l'eau à une source indiquée mais tas d'animaux nous y ont précédés. Allons-nous devoir demander de l'eau aux voitures, camper..? Un arrêt pour nous habiller car il se met à faire froid sous le nuage de foehn. Petit miracle alors que nous repartons : le vent est presque complétement tombé. Nous sortons notre col à 3400 m d'altitude (tout de même !) dans le brouillard. La descente sur la piste est un régal. Les lacets se déroulent en dessous de nous à la mode alpine. La pente n'est pas trop forte et les kilomètres défilent à vive allure. Nous trouvons une petite guinguette, qui n'a que des empanadas à proposer (nous lui ferons cuisiner une purée en poudre que nous transportons), en face de laquelle nous plantons notre tente – contraste avec le confort voluptueux de l'hôtel que nous nous étions offert la veille ! - près d'un groupe dont nous craignons qu'il ne fasse la fête toute la nuit, comme il est courant en Argentine. Mais Martin nous rassure : ils sont Les base jumpers d'Argentine (6, pas plus !) et prévoient de monter à 7 h pour sauter à 9 h une falaise qui nous domine. Nous voyons les voiles s'ouvrir pendant notre petit-déjeuner. Martin me convainc : avec mon passé parachutiste, quelques sauts d'avion de reprise et je peux aller m'initier à Brento en Italie. C'est décidé, je vais m'y mettre. Nous parlons du Verdon, du Vercors... où il a déjà sauté.

La descente vers la plaine de Salta se poursuit à vive allure. Après la glace énorme du goûter – la dynamique vendeuse nous fait la promotion de produits régénérants, anti-oxydants... dont elle nous offre des échantillons et des prospectus ! - Laurent tire des braquets énormes. Moyenne de la journée : 23 km/h : près du double d'une journée habituelle de piste... Ca y est, nous avons bouclé la traversée des vallées Calchaquies, premier objectif de notre « épopée ». 550 km au compteur (8 jours) et tant de décors fantastiques dans les yeux...

Yannick et Bruno nous avaient indiqué l'adresse de la « maison du cycliste » à Salta, une famille qui reçoit volontiers les voyageurs à vélo et dont l'adresse se transmet sur la route au fil des rencontres. Ramon après nous avoir éconduits faute de place (un couple est attendu pour le lendemain) nous course pour nous proposer des matelas au sol, que nous acceptons. Des vélos partout, un totem de vieilles pièces usagées, des remorques... Outre son propre matériel, Ramon garde celui d'Européens qui ont interrompu ici leur voyage, sont retournés quelques mois travailler au pays avant de repartir d'ici. Le livre d'or est truffé de récits, de photos, de relevés d'itinéraires tous plus improbables les uns que les autres. Une porte ouverte sur une multitude d'aventures. Le dîner se limite à une boisson chaude accompagnée de gâteau et de pain maison (à garnir de l'incontournable « dulce de leche », une crème au goût un peu caramel. Mais nous n'avons déjà plus faim.
Le lendemain arrivent Nancy et Randy, la cinquantaine. Ils sont américains, partis il y a 2 ans et demi d'Alaska. 21000 km au compteur !!! Ils ont dû interrompre 4 mois leur voyage suite à une maladie pulmonaire contractée en faisant de l'humanitaire au Guatemala. Ils en ont profité pour vendre la voiture, la maison, et stocker leurs cartons dans le garage d'une soeur. Ils comptent arriver au bout du continent avant l'hiver (austral = mars) (www.hobobiker.com).

Visite de Salta, son musée archéologique de montagne qui nous transporte dans le monde inca. Orgie de viande à la Lenita, restaurant jumeau de celui de Tucuman tenu par le beau-frère d'Horacio (cf Tucuman) et pour lequel Rodrigo nous a écrit une recommandation. Le patron nous offre presque la moitié de la note ! Nous allons dépenser le pécule dans un bar où musique et danse folkorique battent leur plein.

Mais un nouveau départ se profile déjà, celui de la longue montée(quelques centaines de kilomètres) vers l'altiplano bolivien.

Photos : http://picasaweb.google.com/Benicano/LesVallEsCalchaquies#
et http://picasaweb.google.com/Benicano/VallEsCalchaquiesSuite#